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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Pedigree - Georges Simenon

Publié par Thierry L. sur 1 Avril 2024, 18:08pm

Catégories : #Lu

"Il tasse du doigt les cendres de sa pipe, crache comme les gens du peuple, traîne ses sabots comme eux et, sous le ciel qui pâlit toujours, il regarde avec dégoût le monde sans joie qui l'entoure et qu'il sent à son image."

Archives du Nord...

En dilatant espace et temps (Liège éployée comme une immense carte aux trésors), Georges Simenon revient sur ses premières années en nous offrant une autobiographie déguisée, celle de son alias Roger Mamelin : préférer le "il" au "je" permet en outre à l'écrivain de se décentrer et, à l'instar de ses romans durs, de mettre à distance sentiments et émotions.

Triptyque intime, ces massives confessions courent de 1903 à 1918. Dans la première partie, elles relatent concomitamment les débuts dans leur vie de couple d’Élise et Désiré Mamelin, la naissance de leur fils, Roger, et la fuite, après un attentat à la bombe, d'un jeune anarchiste, Félix Marette, en rupture de ban avec sa famille et la société. Simenon évoque ensuite les années d'école de son besson de papier et les pensionnaires de sa mère qui, pour arrondir sa pelote, prend désormais des locataires. La dernière partie, âpre et grise, remémore pendant les années d'occupation de la Belgique une adolescence frustrée dans ses ambitions et ses pulsions.

Malgré l'ampleur du projet -son magnum opus-, Simenon amenuise ses réminiscences de jeunesse en les patinant de mesquinerie et de médiocrité, et règle, comme sans y toucher, ses comptes avec parents, lignages et milieu sclérosants.

Exposant froidement le sordide de vies étroites, travaillé d'une pudeur émouvante, il retient ses élans, étouffe ses affections en une stase lacrymale qu'on devine douloureuse. Ainsi il efface son père, vilipende sa mère et désintègre son alter ego.

De Désiré, il esquisse une silhouette certes bienveillante et optimiste mais comme absente au monde (un topique simenonien) avec sa régularité de métronome et son indulgence bonhomme. Élise, on le comprend rapidement, ne bénéficiera pas du même traitement : geignarde, lésineuse, hypocrite, elle paie un atavisme chargé (alcool et violences, canaux et brume). Dévouée à son unique enfant (ce que ne sera jamais son modèle, Henriette Brüll qui dénigrera son aîné au profit d'un cadet dévoyé), tout est calcul et insatisfaction chez cette petite femme arc boutée sur ses rancœurs. L'auteur s'amuse à ses dépens quand il convoque le souvenir de ses divers pensionnaires : ladres, tyranniques ou dédaigneux, ils battent systématiquement en brèche les simagrées de leur propriétaire.

Enfin, pour suggérer l'adolescent qu'il fut, Simenon fragmente son récit comme un miroir brisé, mêlant les époques, jetant le lecteur in media res dans un souvenir puis dans un autre, s'autorisant ellipses et raccourcis. Son Roger Mamelin se brouille, tantôt indigne ou honteux, tantôt estimable et prometteur... La véracité de cet autoportrait bigarré en est d'autant plus touchante.

Simenon, immense styliste, répugne à l'épate. Pedigree est le condensé accompli de toute son œuvre ; on y retrouve toutes ses obsessions (le sexe des femmes, les envies d'ailleurs ou les silences éloquents,...), y déniche des récurrences (les fenêtres, le rouge, les poêles, la pipe, les ombres...) et en admire l'humble écriture, toujours au bord de l'évanescence mais pourtant si précieusement précise.

Porte d'entrée ou parachèvement à toute l’œuvre du romancier, Pedigree vous pénètre aussi sûrement que la drache wallonne.

Imposant !

 

Pedigree - Georges Simenon
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