Royan, la professeure de français - Marie Ndiaye - Frédéric Bélier Garcia

Gabrielle finira-t-elle par rejoindre son appartement ou va-t-elle rester prisonnière d'une peur panique dans le hall de son immeuble ? C'est que sur le palier, là-haut, l'attendent les parents de Daniella, l'une de ses élèves qui s'est défenestrée quelques semaines auparavant. Que veulent-ils ? Comprendre ? Accuser ? Menacer ?

Nicole Garcia, fébrile, incarne avec une élégance brutale cette femme ni aimante ni aimée qui est restée aveugle à la détresse d'une adolescente. Gabrielle n'a cessé, sa vie durant, de fuir toute emprise affective et, aujourd'hui, face à l'indicible, son armure se craquelle. La comédienne enchaîne les ruptures de tons, les accélérations subites du débit que jugulent de soudains silences, elle bredouille ses doutes, bégaie son effroi. Elle agite follement ses mains, balayant incessamment ses cheveux blonds, dérisoire égide derrière laquelle se camoufle son personnage. Dans ce cruel monologue que lui offre mi-ange, mi-démon, la sagace Marie Ndiaye, elle fait un sort de chaque période, maltraitant rythmes et cadences.

La mise en scène invisible se concentre sur les failles de l'héroïne : la cage d'escalier -décor unique- bruisse de l'écho des doutes de la professeure de français et de son élève, comme le prénom de la jeune suicidée résonne dans le sien. Les deux faces opposées d'une même terreur : celle de l'autre.

Royan exhale le lamento d'un cœur nécrosé, celui d'une femme qui, à force de juguler ses sentiments, s'est noyée dans une apathie névrotique.

Un texte incandescent, une interprète fougueuse, un spectacle intense.