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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Madame Bovary - Gustave Flaubert

Publié par Thierry L. sur 25 Mars 2021, 18:05pm

Catégories : #Lu

"D'où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s'appuyait ?..."

Maumariée, Emma méprise son époux bovin, délaisse sa fillette, exaspère ses amants, dépense au-delà du raisonnable et, menacée de ruine, se gave d'arsenic. De la mort-aux-rats pour une souris des champs.

Dans son roman aux tons muraille, piqué du bleu de l'évasion et du jaune du déclin, Flaubert observe, en entomologiste appliqué, la valse-hésitation d'une poignée de cloportes. Son héroïne, Emma Bovary, jeune gourde ondoyante, se collette avec un essaim bombinant de mâles médiocres. Comme un insecte pris au piège d'un verre retourné, elle rêve d'espace et de liberté mais ne cesse de se cogner durement aux parois translucides d'un réel prosaïque.

"L'air du bal était lourd ; les lampes pâlissaient. (...) Un domestique monta sur une chaise et cassa deux vitres (...)"

Il est un monde, inatteignable, où il suffit de briser des carreaux pour changer d'air. La Bovary s'éreinte en vain. Flaubert la dépeint immuablement prisonnière d'un cadre : Emma à la fenêtre d'une diligence, à la croisée de sa chambre, Emma sous un voile, Emma dans la gélatine visqueuse d'un regard concupiscent. Ses horizons sont irrémédiablement bouchés. Boîtes, étuis, globes, coffres, enveloppes, corsets... jalonnent le roman comme autant de carcans. Condamnée à rêver sa vie, elle en oublie de la vivre. La tragédie d'une dinde.

Impitoyable, Flaubert abouche sa chimérique héroïne à de triviaux matous. Le brutal Rodolphe, vigoureux trousseur de grues, bazardera cette maîtresse devenue crampon quand le mièvre Léon, soumis aux ordres obscènes d'Emma, la reniera lâchement. Gravitent encore autour de l'idéaliste songe-creux un usurier répugnant, un infirme pâmé, un prêtre stérile ou un notaire libidineux : un dérisoire quarteron de cancrelats. Aveuglée par ses pauvres fantasmes, la Bovary honnira le débonnaire Charles, son piteux époux, méconnaissant l'amour filandreux mais sincère et désintéressé qu'il lui porte.

Et puis le romancier fabrique l'ineffable Homais, apothicaire roublard et grotesque bouffeur de curé, qui ponctue tout le récit de ses sublimes fadaises. Vipérin, le pharmacien est présenté comme une épreuve négative de l'héroïne (Homais/Emma onomastique tangente) : à elle les illusions, à lui les certitudes ; à elle la chute, à lui l'essor ; à elle l'impuissance, à lui l'efficacité.

Madame Bovary recèle des épisodes inoubliables : le bal de la Vaubyessard écrit à la Louma ; les comices à Yonville où les voix s'enchevêtrent en collisions drôlatiques ; une baisade sous les frondaisons ou en diligence ; une agonie nauséeuse...

L'écriture flaubertienne, soumise à une férule rigoriste, se joue de l'impact des imparfaits décalés, taquine le discours indirect libre et acoquine incongrûment substantifs et adjectifs disparates ("les yeux éraillés", "des mères pacifiques"). Je lui reproche cependant cette maîtrise par trop tendue : plus de relâchement et de débraillé dans le style aurait sans doute poivré son chef d’œuvre et davantage flatté mon palais.

"Cet affreux goût d'encre continuait."

Alors ? Emma Bovary, pimbêche qui se conçoit bien autre qu'elle n'est ? Victime propitiatoire d'une idéologie phallocrate ? Martyre de la littérature sentimentale ? Réfractaire jusqu'au-boutiste ? Intrigante au petit pied ? Autoportrait en jupon de l'artiste neurasthénique ? Sans doute un peu de tout cela et beaucoup plus encore. Il est des romans qui ne s'épuisent jamais : chaque lecture est une redécouverte.

Impérial(e) !

Madame Bovary - Gustave Flaubert
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