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La vie errante

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Mes goûts et mes couleurs


La Peste - Albert Camus

Publié par Thierry L. sur 9 Juillet 2020, 12:12pm

Catégories : #Lu

"(...) Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (...)" - La Fontaine

Chronique d'une épidémie, La Peste résonne étrangement avec la situation actuelle. Pour Camus, cependant, cette allégorie brune avait comme "contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme" (Lettre à R. Barthes, le 11 janvier 1955). La force du roman c'est que ses axiomes et corollaires se calquent sur chaque fléau qui écrase l'homme. L'horreur, capricieuse et versatile, se heurtera toujours à l'immutabilité humaine.

Oran, avril 194. - Des rats, dérisoires monstres chthoniens, agonisent soudain sous la lumière crue de la laide cité. Leurs cadavres prolifèrent tout comme l'occurrence du vocable "rat" envahit brutalement les premières pages du roman. La peste insidieuse, maligne, suinte et s'écoule dès lors dans toute la ville, fauchant aveuglément ses habitants. Une éclosion de bubons sanieux et d'expectorations sanguinolentes, prémisses d'un trépas abject, force les autorités à fermer les portes d'Oran. Écrasés entre lame et lamelle, écartelés entre exil et prison, quelques échantillons humains sont soumis au microscope camusien.

Le narrateur, anonyme, recoupe témoignages, impressions, notes de carnets et conversations pour rendre compte des options qui s'offrent à chacun face à tout fléau : la fraternité ou l'opportunisme, l'engagement ou la fuite, le courage ou la veulerie, l'espérance ou la spéculation... Les protagonistes du roman -uniment mâles, on peut le regretter- sont des "types". Les résistants (Rieux, le médecin austère ; Tarrou, le rentier velléitaire ; Rambert, le journaliste amoureux ; Grand, le fonctionnaire médiocre) côtoient collabos (Cottard et ses sophismes en action) et passifs (le père Paneloux, prêcheur stérile).

Classique, l'écriture de Camus cherche la formule lapidaire, le dialogue abstrait : cette raideur met constamment à distance le lecteur, impressionné par tant de sérieux. Pas une once d'humour -pourtant la politesse du désespoir- dans ce journal de guerre ! Les souffrances et les agonies se succèdent mais restent incorporelles, ce sont les variations d'un même paradigme : le fléau comme révélateur de l'homme.

Ici et là se glissent sous les doigts de l'auteur de minuscules poèmes en prose, méditations miniatures ou anecdotes saugrenues sur le pays natal : une terrasse sur un toit, un bain de mer nocturne, un vieil homme qui crache sur les chats, un écrivain qui inlassablement cherche la première phrase idéale d'un ouvrage mort-né, une vieille femme hiératique à sa fenêtre... Ces respirations aèrent la compacité du roman.

Au-delà de l'allégorie qui tend à désincarner les héros du récit, la collision entre un texte de 1947 et la situation sanitaire de 2020 est édifiante et les engagements humanistes de Rieux, les aveuglements du docteur Richard, les pas de deux hésitants avec Dieu de Paneloux ou les menées fallacieuses de Cottard font écho avec ce que nous avons vécu.

Forcément prophétique, Camus, avec cette modélisation de l'homme face à toute calamité, nous taraude de questions douloureuses et nous laisse dans l'expectative en attendant le prochain fléau : serons-nous de ces hommes dans lesquels il y a "plus de choses à admirer que de choses à mépriser" ? A pourpenser.

 

La Peste - Albert Camus
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