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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


La Maison du canal - Georges Simenon

Publié par Thierry L. sur 16 Février 2020, 06:49am

Catégories : #Lu

Jeune orpheline de seize ans, Edmée quitte Bruxelles pour être recueillie par son oncle maternel, dans la campagne limbourgeoise. Quand elle arrive dans le domaine agricole des "Irrigations", c'est pour apprendre la mort du tonton des suites d'une gangrène.

Rongée par une syphilis congénitale, la famille flamande à qui est confiée la garde de la jeune fille, mène une vie fruste au milieu d'un plat pays incolore, traversé de canaux lugubres. 

D'abord... d'abord, il y a l'aîné... "qui fait rien de ses dix doigts (...) et qui s'prend pour le roi (...) qu'aimerait bien avoir l'air mais qui a pas l'air du tout". L'aîné c'est Fred, trousseur de jupons, client assidu des bordels du chef-lieu et inapte à reprendre les affaires de son père.

Puis il y a Jef, le cadet, abâtardi par la dégénérescence paternelle, épouvantail bovin et force de la nature qu'est "tout juste bon à égorger les chats"  ; Mia, la plus grande sœur, dévorée par l'eczéma et dont les rêves étroits, on le devine, resteront morts-nés ; la mère " qui ne dit rien ou bien n'importe quoi (...), qu'on n'écoute même pas c'que ses pauvres mains racontent", triste fantôme résigné et l'oncle Louis, "qui fait ses p'tites affaires avec son p'tit chapeau avec son p'tit manteau avec sa p'tite auto", l'homme providentiel de la famille.

"Et puis et puis et puis il y a (Edmée) qui est belle comme un soleil", Edmée, fluet tréponème pâlichon, qui contamine ce microcosme déjà ulcéré "avec ses yeux mouillants" : bondée d'ardeurs malsaines, elle inocule insidieusement, comme en passant, des désirs frelatés et exacerbe les violences enfouies. Simenon hystérise son héroïne -qu'on imagine masturbatrice compulsive-, la soumet aux brûlures de la glace et aux morsures du feu sans jamais traduire ses motivations : elle nous reste étrangère comme elle l'est au sein de sa famille, presque seule francophone dans ce bourbier flamand.

Le Limbourg en noir et blanc de l'écrivain est rincé au brou de noix d'une écriture stupéfiante de rigueur et d'économie. Quelques éclaboussures carminées (une griffure de fille, un béret rouge d'enfant, la planche anatomique d'un estomac cancéreux, un écureuil dépiauté et qui s'offre comme une vulve brûlante) infectent un récit qui s'estompe dans une brumaille cafardeuse.

Dans ce drame d'une noirceur constante, Simenon n'explique rien, il expose cliniquement les faits et cette distanciation froide intensifie le malaise du lecteur jusqu'au finale laconique et brutal.

Un très grand petit chef d’œuvre.

* Merci à Jacques Brel

La Maison du canal - Georges Simenon
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