Bigre - Pierre Guillois

Saperlipopette ! Quel spectacle !

Dans leurs chambres de bonnes contiguës, sous les toits, trois célibataires cohabitent : "un gros homme, un grand maigre et une blonde pulpeuse".

Si le locataire replet et maniaque est un adepte des mesures prophylactiques, son voisin dégingandé vit dans un douteux capharnaüm structuré pour le pire. Quant à la blondinette, adepte du "Tout faire soi-même", sa minuscule chambrette rose et pétillante lui ressemble.

La solitude aliénante de ce trio et leurs interactions mutuelles sont sources de catastrophes désopilantes. A quoi s'ajoutent des moments d'étonnantes promiscuités et quelques impondérables : travaux dans la cage d'escalier, tempête qui fait rage, moustiques assoiffés ou troubles du voisinage...

Porté par un trio de clowns impressionnants, ce délire épate par la mécanique implacable d'une mise en scène qui ne laisse aucun répit au spectateur. Tout s'enchaîne avec fluidité malgré de pléthoriques accessoires qui fument, fuient, pétaradent ou explosent.

Jonathan Pinto-Rocha en tendre colosse, Bruno Fleury en homme caoutchouc et Agathe L'huillier (co-autrice du spectacle) en midinette versatile chantent, dansent, se métamorphosent et nous offre un remarquable exemple de jeu en cohésion.

Cet humour vachard et poétique, ce burlesque à répétition doit beaucoup au slapstick : passent dans ce désordre organisé, les ombres de Chaplin, Laurel et Hardy ou Mr Bean... Doigt dans l’œil, tarte à la crème et coup de pied au cul...

J'y ai surtout vu un délicat hommage à l'art de Jacques Tati. On retrouve dans la minutie des décors et la sophistication des machineries, aussi bien l'appartement anachronique de Mr Hulot que la modernité cocasse de la cuisine et du jardin des Arpel dans Mon Oncle ; dans le traitement des bruits (exagération des bruits du quotidien -même et surtout les plus triviaux-et interjections inintelligibles des comédiens) la même méticulosité que celle apportée à la sonorisation par le réalisateur ; dans la simultanéité des gags sur des plans différents, le génie comique d'un Playtime.

Avec frénésie, pétulance et une imagination débordante Pierre Guillois "texaveryse" notre quotidien morose et c'est diablement jubilatoire.

Bigre ? Fichtre !