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La vie errante

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Mes goûts et mes couleurs


La débâcle - Émile Zola

Publié par Thierry L. sur 21 Décembre 2016, 17:27pm

Catégories : #Lu

"C'était la partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne, celle qui était restée le plus près de la terre, qui supprimait la partie folle, exaspérée, gâtée par l'Empire, détraquée de rêveries et de jouissances ; (...) Désormais, le calvaire était monté jusqu'à la plus terrifiante des agonies, la nation crucifiée expiait ses fautes et allait renaître."

Zola, âpre mythologue, passe, avec La débâcle, un ultime coup de serpillière sur l'Empire : il ne lui restera plus, "marchant à l'avenir, à la grande et rude besogne de toute une France à refaire" qu'à rincer le tout à grandes eaux lustrales (dans Le Docteur Pascal).

Dans cette débâcle, qui, torrentueuse, court de la bataille de Frœschwiller-Wœrth à la terrible agonie de la Commune de Paris, Zola fait œuvre de journaliste, d'historien et de poète. Si les dernières pages sont consacrées à la Semaine sanglante, holocauste régénérateur d'un monde gangréné, dans les deux tiers du roman, ses personnages se croisent autour de Sedan où, en septembre 1870, après une terrible bataille, Napoléon III va capituler.

Il y a d'abord Jean Macquart, paysan-soldat : après la mort de sa femme (dans La Terre), il a repris les armes et, forcément, les larmes. Il y a surtout Maurice Levasseur (veut la sœur), jeune bourgeois, qui, dans un premier temps va s'opposer à son supérieur, le caporal Jean, avant de nouer avec lui une histoire d'hommes que seules la guerre et sa cohorte de souffrances peuvent faire naître. Cet amour qui n'ose pas dire son nom est constamment bouleversant. De magnifiques silhouettes hantent ce décor de boue et de sang : Henriette, la sœur de Maurice, vaillante petite veuve de guerre, Silvine, la taiseuse, et son bâtard, rejeton involontaire d'un Prusco, le grandiose Bouroche, tout à la fois médecin militaire et équarrisseur, mais aussi, en filigrane, un fantôme en la personne de l'Empereur, ectoplasme tumoral à barbiche, dérisoire ombre de lui-même.

Tous ces personnages vont se croiser et se recroiser, permettant au lecteur, en multipliant les points de vue, d'être partout à la fois : sur le champ de bataille et à l'arrière, du côté des vivants comme de celui des morts, chez les francs-tireurs ou chez les collabos (déjà!), avec les héros mais aussi les salauds. La construction narrative est impressionnante ; à ce niveau, c'est un véritable chef d'œuvre.

En s'attachant aux petits et aux sans grade, Zola multiplie les morceaux de bravoure, se transformant en reporter de guerre : la marche éreintante des soldats tâchant d'obéir à des ordres contradictoires, la résistance farouche et glorieuse d'un artilleur au plus fort des combats, les amputations à la chaîne du chirurgien Bouroche, la mise à mort d'un espion prussien (Il est bien difficile de tuer un homme : on pense immédiatement à des exécutions cinématographiques : Paul, l'étranglé de L'armée des ombres, Gromek dans Torn Curtain...) ou Paris en feu dans les derniers soubresauts de la "Semaine sanglante".

L'écrivain, in fine, abandonne son réalisme circonstancié pour une lecture mythique de la Commune qu'il voit comme le nadir de son époque, un feu purificateur qui détruit les miasmes de l'Empire. Ce n'est pas la meilleure partie du roman : le rythme s'accélère et la vérité s'estompe au profit du parti pris.

Ce "poème de l'épouvante et de la fatalité" (H. Céard), relation d'une guerre ancienne et oubliée, est "une leçon utile" voire indispensable aujourd'hui encore.

 

 

 

La débâcle - Émile Zola
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