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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Lieux - Georges Perec

Publié par Thierry L. sur 3 Juillet 2022, 20:51pm

Catégories : #Lu

"(...) il ne reste pas de trace des lieux que j'ai habités (ils n'ont pas gardé ma trace même si j'ai gardé la leur) ; j'ai choisi pour terre natale des lieux publics, des lieux communs. (...) Lieux d'enfance, faux lieux, non-lieux d'enfance (...)"

12 lieux, 12 ans. En 1969, Perec se lance dans une nouvelle expérience : décrire scrupuleusement une douzaine de lieux parisiens porteurs de sens (pour lui) puis évoquer les souvenirs personnels qui leur sont rattachés. Chaque mois -en suivant la combinaison contrainte d'un bi-carré latin d'ordre 12- l'écrivain enferme dans des enveloppes scellées le fruit de ses perec/rinations. Une fois le projet achevé, l'ensemble formera un objet biographique à la fois  extime et intime.

Las, Perec n'ira pas jusqu'au bout : fatigué par l'exercice, il renoncera à ces sédiments mnésiques en 1975.

Les découvrir aujourd'hui, à l'état sauvage, est une expérience à la fois émouvante et gênante.

Gênante, car ces écrits perecquiens nous sont livrés bruts (sans préjuger de ce qu'aurait pu en faire le génial écrivain) et leur lecture en est ardue : prolifération de références (un corpus de notes impressionnant répond heureusement à nos interrogations), sécheresse voire insipidité du matériau, redondance évidente des images mémorielles... Cette tentative d'épuisement de ses "loci soli" par l'écrivain nous semble souvent bien vaine.

Émouvante, évidemment ! Parmi les passages les plus sensibles de ces "itinéraires analytiques" il y a ceux consacrés à l'Île Saint-Louis et à la rue Vilin. Dans les premiers, Perec déplore la fin de ses amours avec Suzanne Lipinska (elle habitait sur l'île). Son désarroi y est palpable : ses confessions impudiques sont celles d'un diariste et on pourra s'interroger sur ce qu'en aurait conservé le secret Georges. Dans les seconds, Perec fouille inlassablement son amnésie originelle, pistant, à travers les façades condamnées du vieux quartier de son enfance, les fantômes de ses parents. Nouvelle pierre blanche sur leur cénotaphe.

Finalement fascinants, ces télescopages temporels en appellent d'autres et le lecteur ne pourra que se prêter à la même expérience en inventoriant les lieux de sa propre histoire. Perec, hermétiste capital, nous incite ainsi, post-mortem, à tendre le ressort de notre mécanisme à souvenirs.

Conceptuel et attendrissant.

 

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