
Quand le mercredi 10 décembre 1919, Marcel Proust obtient le prix Goncourt avec 6 voix sur 10 pour "À l'ombre des jeunes filles en fleurs" au détriment de Roland Dorgelès et ses "Croix de bois", c'est la curée (d'où le sous-titre de l'essai de Thierry Laget : Une émeute littéraire).
Tayaut, hallali ! Les chiens sont lâchés, du Beagle va-t-en-guerre à l’Épagneul vaguement antisémite, du Braque socialiste au Saint-Hubert calotin, chacun y va de son coup de dent ou de griffe. Pensez : un vieil écrivain richissime, un planqué, un sodomite de surcroît, voit récompenser son pensum illisible aux dépens de souvenirs des années de guerre ! Nos valeureux Poilus doivent se retourner dans leur ossuaire. Impavide, Marcel Proust laisse les roquets aboyer : il a bien raison, la postérité lui rendra justice.
Avec cette chronique d'une chasse à l'homme littéraire, alerte et moqueuse, Thierry Laget jubile de mettre à jour la bêtise crasse qui se diffusa alors dans les journaux et les correspondances.
Comme l'écrivit alors Jacques Rivière : "Si j'eusse conservé quelque doute sur l'importance d'À la recherche du Temps Perdu, il m'eût été enlevé par la petite émeute à laquelle nous venons d'assister. Seuls les chefs-d’œuvre ont le privilège de se concilier du premier coup un chœur aussi consonant d'ennemis. Les sots jamais ne se mettent en révolution sans qu'il leur ait été fait quelque positive et vraiment cruelle injure."
C'est un excellent résumé de ce petit livre édifiant.