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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Le Hussard sur le toit - Jean Giono

Publié par Thierry L. sur 8 Janvier 2023, 08:28am

Catégories : #Lu

"Sois toujours très imprudent, mon petit, c'est la seule façon d'avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures."

Dans ce western stendhalien -le plus illustre des romans de Giono- le cœur réactivé de son orgueilleux héros se remet à battre. Angelo Pardi (pardi !), fuyant l'Italie, traverse la Provence où sévit une terrible épidémie de choléra morbus. Il cherche à retrouver son frère de lait Giuseppe, carbonaro comme lui. Sur sa route il croisera la mort et l'amour.

La première partie, enlevée au galop nous mène de Banon à Manosque. Angelo n'y croise que désolation et horreur. Giono décrit, dans un pays écrasé de chaleur, sous des "ciels de plâtre", les affres de la maladie avec détail, psalmodiant l'antienne des macules bleutées, des coliques immondes et des dégorgements blanchâtres ("semblables à du riz au lait").

Ayant échappé à une mise en quarantaine délétère, notre hussard parvient à Manosque où, après une chasse à l'homme, il se replie sur les toits de la ville. Un chat de gouttière pour compagnon, il va y épier la panique générale face au choléra.

Une fois descendu de son aire de tuiles en terre cuite, son voyage va l'amble : Giono ralentit l'action du récit, multipliant dialogues abstrus et flux de conscience maladroits. C'est là le ventre mou du roman. Il faudra l'apparition de la superbe Pauline de Théus pour que l'histoire reprenne son rythme, entre cavalcades agrestes et rencontres de hasard, entre menaces et réconforts jusqu'à Théus.

"Le choléra fini, il restera les miroirs à affronter."

Allégorie diaphane de la période de l'Occupation, le roman permet à Giono de régler et solder ses comptes, lui emprisonné pour pacifisme en 1939 puis poursuivi pour collaboration dès 1943.

Pourchassé à tort -on l'accuse d'empoisonner les fontaines de la ville-, Angelo trouve refuge sur les toits roses de Manosque. Comme l'écrivain embusqué dans son Paraïs, dominant sa ville natale, son "enfant de minuit" observe les hypocrisies et les exactions de ses habitants, insectes vibrionnant sur les charniers et les bûchers dus à la pandémie. Dans cette tourmente pestilentielle, les hommes égoïstes cèdent aux instincts les plus bas : lucre, dénonciations, concussions, lâchetés, meurtres... Giono sarcastique animalise la bêtise d'une population abrutie par les angoisses et la peur d'une mort qui frappe aveuglément. "La peur est capable de tout et elle tue sans pitié (...)"

Sous le regard inquisitorial de l'auteur, la nature elle-même met en branle une orgie anthropophage. Les corbeaux et les renards dévorent les cadavres, les hirondelles et les rossignols becquètent les yeux des dormeurs, même les graciles papillons se gavent de charogne. La Grande Barrière est rompue.

La parabole cholérique permet à Giono de multiplier les images audacieuses, les rencontres surprenantes et, sous l'haleine empestée de l'épidémie, de faire souffler un chaste vent d'aventure. Angelo, en solaire brave-la-mort, aussi lumineux qu'opaque, s'affiche en héros pur et incorruptible : l'antidote idéal au pessimisme et à la frilosité de toutes les époques.

"Qui n'a vu le monde changer, noircir ou fleurir parce qu'une main ne touche plus la vôtre ou que des lèvres vous caressent ?"

La rencontre d'Angelo et Pauline est l'acmé vers laquelle tend tout le roman. Confrontés à la sordidité du monde, nos deux héros se rapprochent insensiblement : lui, flamboyant novice à l'orgueil inaltérable, elle, jeune épousée d'un preux de haute race. Terrassée par le choléra, Pauline sera sauvée par son paladin d'occasion. Giono dépeint les soins prodigués par Angelo comme s'il s'agissait d'une union charnelle. On ne sait plus si c'est la maladie qui s'acharne sur la jeune femme ou un orgasme qui la délivre : nudité consentie puis offerte, spasmes musculaires, lèvres retroussées, gémissements étouffés... Une fois le danger éloigné, la belle tutoiera son Angelo tutélaire qui s'endormira, béat, la tête sur le ventre de sa compagne. Leurs mots tus sont des poèmes.

  "Il était au comble du bonheur."

Malgré quelques scories -allusions sibyllines, dialogues souvent fumeux et redites fastidieuses-, Giono nous offre, ici encore, un roman exaltant et fiévreux. Le lecteur, lui aussi au comble du bonheur, rêvera longtemps de cet amour au temps du choléra.

 

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