Jean-Luc persécuté - Charles-Ferdinand Ramuz

"La peau du front était fendue, du sang avait coulé jusque dans sa moustache ; il avait la poitrine nue. Et ne remuait point, étendu sur le dos, les bras largement écartés, comme un homme cloué en croix."

La Passion selon Jean-Luc.

Cette histoire simple d'un amour floué, d'une filiation douteuse puis d'une démence hallucinée saisit par sa dramaturgie lapidaire. Jean-Luc, âme fruste, déroule son calvaire le long de treize chapitres -autant de stations d'un chemin de croix inexorable- et l'écho de sa chute se répercute dans les montagnes valaisannes et vient mourir en nous.

Entre ciel et terre, au rythme des saisons, Ramuz ourle son récit de subtiles évocations évangéliques : une héroïne, Christine, dont le prénom se réclame d'un patronage messianique ; des formules aux reflets bibliques ("Il vit que cela était bon.") ; le leitmotiv du crucifix ; un piquetis d'images saintes (reniement, descente de croix, pièta...). Il le brode de tropes et de métaphores qui sont autant de perles iridescentes et, à points comptés, entrelace présents atemporels et passés de l'instant. Ce mouchoir de poche que festonnent quelques gouttes d'un sang écarlate bouillonne au plus près du cœur.

Jean-Luc, victime d'un fatum qui l'écrase, s'ajoute au martyrologe ramuzien. La légende de l'homme qui berçait une ombre sourd des glaciers et, enclose dans la bisse d'une prose toute à la fois délicate et raboteuse, irrigue durablement nos songes.

Un moment suspendu.

"C'était pourtant assez pour vivre, comme il pensait, mais il y faudrait le bonheur comme un autre habitant. Quand on pense le trouver chez soi, on ne va jamais assez vite ; au contraire, lui, plus il approchait, plus il allait lentement."