Le Fils - Marine Bachelot Nguyen - David Gauchard

Une tranche de vi(d)e...

Une femme se raconte. Seule en scène elle retrace son parcours : ses études, son mariage, ses maternités et sa radicalisation. De convictions molles en aveuglement fondamentaliste, la petite pharmacienne se transforme en pasionaria catholique : elle s'agenouille devant un théâtre qu'elle soupçonne de blasphème, elle s'insurge contre la loi Taubira ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, elle milite contre l'avortement.

Elle exulte, elle se sent vivante. Toujours contre, jamais pour. Pourtant sa cécité mentale est absolue : elle est absente au monde qui l'entoure, elle n'a pas vu la pièce qu'elle accuse, elle n'a pas perçu la fragilité de l'un de ses fils...

Le texte de Marine Bachelot Nguyen est factuel, évite tout raccourci et donne une voix à entendre. Ni apologétique, ni critique (les ridicules de son héroïne pourraient être les nôtres), le long monologue sidère par son réalisme. L'auteur, neutre, se refuse à tout jugement. Que chacun sentencie selon sa part. Elle multiplie les allusions religieuses, transformant peu à peu sa petite bourgeoise rancie en une pietà pathétique. A chaque jour sa crucifixion !

La sobriété -j'allais écrire l'ascétisme- de la mise en scène de David Gauchard épouse la sincérité du propos. Isolée sur un plateau circulaire (une hostie, un ombilic, une cellule ?), sa comédienne, corsetée par ses valeurs, économise les déplacements : quand elle franchira les limites de son orbe, ce sera pour chuter en une damnation qu'on imagine éternelle.

La frémissante Emmanuelle Hiron, incarne avec justesse et ferveur cette mater dolorosa fourvoyée. Rigidifiant sa gestuelle, le visage fermé, la comédienne, hébétée de souffrance rentrée, nous retient captifs jusqu'à l'acmé de son terrifiant monologue.

"Sourds, écoutez ! Aveugles, regardez et voyez !"