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La vie errante

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Mes goûts et mes couleurs


Un roi sans divertissement - Jean Giono

Publié par Thierry L. sur 3 Novembre 2021, 17:11pm

Catégories : #Lu

" (...) il est facile d'imaginer (...) que son sang était très beau. Je dis beau. Parlons en peintre."

Une chasse à l'homme, une chasse au loup puis enfin une chasse au désennui. Un trio de madrigaux composent ce bref roman à la saveur ferrugineuse d'hémoglobine.

Polyphonique, en style fugué ou en canon, la chronique -puisque c'est ainsi que Giono l'homologue- réveille une trinité d'évènements liés au mystérieux Langlois, capitaine de gendarmerie puis commandant de louveterie, dont le comportement s'est opacifié dans le temps. Les témoins plus ou moins fiables se bousculent à la barre de ce tribunal mémoriel : on évoque son arrivée dans un village reclus du Trièves alors hanté par un tueur invisible ; son retour quelques années plus tard pour y mener une battue et immoler un loup sanguinaire, grand dévoreur de troupeaux ; puis sa pétrification insidieuse sous l'effet d'un désœuvrement absolu...

Les déposants conjuguent leurs voix, les mêlent aux ressouvenances impressionnistes d'un narrateur archiviste : on recueille la jactance balbutiante d'une poignée de vieillards oublieux, on consigne la faconde gouailleuse de Saucisse, antique putain qui s'est rachetée une honorabilité fragile, on croit sur parole les bruits et les rumeurs.

Giono n'élude rien mais grisaille ses personnages. Aucune annotation psychologique pour expliquer les crimes du tueur, le mystérieux Monsieur V. (que l'écrivain nommait Voisin dans ses brouillons, comme pour souligner une analogie monstrueuse avec chaque lecteur) ni pour éclairer l'asthénie morale du héros.

Le style, ample jusqu'alors, où ramageaient métaphores et fusées poétiques, s'est minéralisé. Giono nous offre ici un distillat de son art, une eau-de-mort qui instille poisons et merveilles. Un arbre totem vrombit d'oiseaux et de mouches, des chasubles aurifères brasillent dans les ténèbres d'une sacristie, le col tranché d'une oie dégoutte de sang dans la neige, un labyrinthe de verdure suggère la mélancolie d'un homme : la malle regorge de trésors...

"Un roi sans divertissement est un homme plein de mystères". A la citation de Pascal qui clôt le roman répondent en écho les vers de Rimbaud à la fin de Pierrot le Fou : "Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Éternité.
" Au bout de l'ennui, il y aura forcément le cosmos.

D'une sublime étrangeté.

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