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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Oliver Twist - Charles Dickens

Publié par Thierry L. sur 19 Septembre 2021, 12:45pm

Catégories : #Lu

Le chemin de souffrance d'Oliver Twist, enfant abandonné en proie aux affres du dénuement, constitue une éprouvante descente vers de sombres pandémoniums où s'agitent la faim et le froid, la prostitution et le crime, la cruauté et l'absence de miséricorde. Cette "atrophie de l'enfant par la nuit", pour paraphraser Hugo, demeure l'un des plus célèbres romans de Dickens.

Pourtant le jeune héros éponyme reste insaisissable, englué dans son statut de type victimal : sa personnalité n'affleure que rarement à travers ses larmes, ses pâmoisons et ses spasmes d'angoisse. Dickens le dépeint fréquemment entre deux portes, à la lisière, retardant continûment sa délivrance au monde -lui, le petit bâtard- : le romancier lui permet d'étreindre furtivement les joies d'une félicité domestique pour mieux le replonger dans les limbes du vice, dans d'impures eaux matricielles.

Grêle esquif ballotté sur le sombre cours d'une époque inique, l'orphelin doloriste, s'il excite notre compassion, révèle par contraste la noirceur des scélérats qu'il côtoie bien malgré lui. Car le génie de Dickens c'est d'avoir cerné son personnage d'ombres inoubliables. Outre les ridicules familiers -on se régalera de la bêtise de quelques crétins hyperboliques comme le boursouflé Bumble, Duff et Balthers, les Dupont et Dupond britanniques ou Grimwig, le grincheux au grand cœur-, il a créé une dyade de cauchemar avec Fagin et Bill Sikes (si l'on excepte Monks, diabolus ex machina au visage marqué par ses excès, qui inocule ses poisons tout au long du récit).

Fagin, Juif cupide et dénué de tout sens moral, revêt les oripeaux d'une puissance chthonienne, lui qui ne sort que la nuit venue et vit reclus dans la fange londonienne. Judas Iscariote aux ongles longs et au regard térébrant -prototype dont nombre d'antisémites ont fait leur miel nauséabond- il souffle le chaud et le froid tout au long du roman : impayable quand il tient la férule à une bande de tire-laines, terrifiant quand il fomente ses vilénies, répugnant quand il dupe sans foi ni raison... Dickens lui concède une fin absolument bouleversante de réalisme, l'un des climax d'un roman qui n'en est pas avare.

Brutal et sans pitié, toujours suivi de Bull's Eyes son horrifique cerbère, Bill Sikes prend l'apparence d'un croquemitaine propre à hanter nos mauvais rêves. Sa sauvagerie, aujourd'hui encore, effraie. Ses hallucinations de meurtrier fou impressionnent durablement.

Éminemment politique, Oliver Twist dénonce un monde où l'injustice dresse les misérables entre eux, chaque victime déguisant un bourreau potentiel.  Martyrs ultimes, les femmes, même en instance de velléités, restent garrottées légalement, religieusement et socialement. S'il a tendance à les transformer en images sulpiciennes, Dickens, à travers la jeune Rose, prête à tous les abandons car mal-née, ou la pauvre Nancy, bête de somme soumise à son tortionnaire, déplore la chute inscrite en leur chair dans une société absolument testiculaire.

Le roman n'est pas qu'un larmoyant ou effrayant réquisitoire contre l'enfance broyée, les gabegies des institutions (où les orphelinats sont des mouroirs et les hospices des prisons) et la misère sociale. Dickens s'emploie à varier les tempos : « comme des couches de bacon bien strié », il entrelarde son récit de pauses drôlissimes. Nous assistons, hilares, aussi bien aux roucoulades d'un crétin suffisant avec une rombière calculatrice qu'au discours désopilant du brillant John Dawkins -The Artfull Dodger- face à ses juges. Le style étincelant autorise ces jongleries salutaires.

Malgré un happy end de convention, avec Oliver Twist, Dickens a trempé sa plume dans une encre limoneuse et signe un ultime roman gothique. Qu'importe son emphase, j'ai suivi l'auteur au fond de chaque ruelle étroite et bourbeuse de Londres, j'ai poussé en sa compagnie la porte branlante des bouges et des tavernes les plus infâmes et, tombé en catalepsie, j'ai été englouti par le talent inouï du conteur. Il m'avait prévenu "IT IS TRUE". J'en suis convaincu.

"(...) happiness can never be attained" sauf à lire Dickens.

 

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