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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Que ma joie demeure - Jean Giono

Publié par Thierry L. sur 6 Mai 2021, 17:49pm

Catégories : #Lu

"Semer la joie, l'enraciner et faire qu'elle soit comme un pré gras avec des millions de feuilles dans l'air. Qu'elle soit la participante comme la mer qui danse, le fleuve qui danse, le sang qui danse, l'herbe qui danse, le monde tout entier qui tourne en rond."

Pour la petite communauté du plateau Grémone, la lèpre du malbonheur a tout recouvert, desséchant les âmes, desquamant l'espoir. Chacun vit pour soi, enfermé dans des habitudes ancestrales. Un visiteur, bateleur de foire et bonimenteur de rêve, va bouleverser ces existences de papier mâché. Messie drôlatique, Bobi est un poète de l'inutile : ne voit-il pas en Orion une fleur de carotte* ? Aux habitants de ce purgatoire, il enseigne l’Évangile laïc de la joie retrouvée et les rassemble en une constellation humaine : l'antique Jacquou, la noble Hélène, Zulma la simplette, le brave Jourdan et sa Marthe (Philémon et Baucis provençaux) et d'autres étoiles s'unissent pour un meilleur à venir.

Prédicateur enfiévré, Giono multiplie les miracles par l'intersession de son baladin. Le phalanstère ébloui adopte un cerf et sa harde de biches, applaudit à un bal d'oiseaux, cultive narcisses et pervenches, libère chevaux et moutons et partage les tâches agraire au gré des saisons. L'éperon rocailleux se métamorphose en Shangri-La édénique. Mais chaque jardin recèle son serpent. Ici le mal rôde dans les désirs inassouvis, les trébuchements sensuels et les convoitises dévastatrices. Une vie donnée en oblation délitera définitivement cet embryon d'agrarisme heureux.

L'écrivain lyrise chaque scène, sublimant par l'ampleur des images les travaux et les jours de cette frêle utopie. Il chante la beauté du monde et des hommes. Tout n'est qu'odeurs, couleurs et musiques. Giono célèbre la glèbe féconde, les aisselles stillatoires et fragrantes, les ventres offerts, le bramement et les râles de plaisir dans une orgie stylistique capiteuse.

Il sacralise les gestes du travailleur : une tisserande devient fée, un faucheur magicien, un pâtre chamane. Chaque scène de paysannerie est taillée "sans une aspérité ni un grumelage" : il découpe le temps d'une semaison façon split screen ou nous précipite dans un travelling enivrant lors d'un banquet...

Dans cette soupe primordiale, ce magma originel, le démiurge Giono brasse des glanures d'histoire sainte et de motifs légendaires : un agneau sacrifié, une bergère de toute humanité, une glossolalie qui touche hommes et animaux, une transfiguration finale...

Mais le véritable mystère c'est celui de cet écrivain thaumaturge qui avec des mots et des idées simples unit arbres, plantes, bêtes et hommes donnant à voir, entendre ou sentir de l'inédit dans de l'insignifiant, de la sublimité dans l'ordinaire des jours. Cette beauté pure, loin de paralyser le lecteur, le grise et le laisse ivre d'une poésie humble et rustique.

Ma joie demeurera, Giono y veille.

"- Il n'y a pas de joie. - Si, je la vois ! - C'est toi que tu vois."

* La floraison des carottes suppose que le jardinier ait abandonné toute idée de récolte.

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