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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


À rebours - Joris-Karl Huysmans

Publié par Thierry L. sur 26 Avril 2020, 06:28am

Catégories : #Lu

"Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir !"

Exhalant de capiteux fumets de venaison, À rebours estampe irrémissiblement le goût de ses ouailles ; on ne se remet jamais d'une telle lecture et, quelques trente ans après mon baptême, j'y communie avec une ferveur intacte.

Dans ces envoûtantes miscellanées du beau bizarre, Huysmans nous guide, cicérone pervers, à travers les dédales d'une névrose. Celle du duc Jean Floressas des Esseintes, raffiné blasé, qui s'isole du commun et du vulgaire dans sa villa de Fontenay-aux-Roses. Souffrant de nervosisme -et plus certainement d'une syphilis-, ce misanthrope recrée dans sa thébaïde un univers qui lui ressemble : original, factice et décadent. 

Plus son sanctuaire s'orne des oblations qu'il y dépose, plus son être se vide de sa substance. L'ennui et le pâle tréponème le tuent à petit feu en une immolation funeste. Qu'il feuillette avec passion les décadents latins, les Parnassiens et Poètes Maudits du jour, distille les parfums les plus suaves, s'immerge dans l'exubérance d'un jardin corrupteur ou se noie dans les pigments faisandés des tableaux de Gustave Moreau ou dans les gravures tératologiques d'Odilon Redon, ce triste babilan reste désespérément flasque.

Car le fruit est pourri. Des Esseintes, "né sur un lit de roses fanées", snobissime pourfendeur du naturel qui se grise d'artifices, entretient un cœur vicié. Pédéraste refoulé, sadique perfide, il s'est longtemps nourri de la détresse humaine. Seul face à lui-même, "dans ce confinement contre nature où il s'entêtait", ce devancier d'un Dorian Gray, exsude ses poisons sans le secours d'une rédemption divine.

Démiurge excentrique, Huysmans brode une étoffe chatoyante où brasillent les fils d'or d'une imagination baroque : un orgue à alcools dont Vian saura se souvenir, un dîner monochrome, une Salomé chelonienne qui meurt sous le poids des pierreries dont elle est revêtue, un voyage immobile où seuls les sens sont activés... Son génie séminal a généré de beaux enfants et la littérature comme la chanson lui doivent beaucoup.

Véritable pierre philosophale, la plume de l'écrivain transmute le plomb ordinaire en or. Tout à la fois chantournée et plantureuse, l'écriture huysmanienne surabonde de préciosités et d'extravagances mais privilégie une expression lumineuse et un débraillé de façade. Sa mise en voix procure d'ineffables plaisirs. Morbide ou rutilant, chaque chapitre profusément référencé est un miracle d'intelligence et de poésie. De la gelée royale !

Une aventure "déliquesseintes", une épectase littéraire : l'indispensable Baedeker Fin de Siècle.

 

 

À rebours - Joris-Karl Huysmans
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