
Sedotta e abbandonata...
Tragédie de l'amour sacrifié sur l'autel de la raison d'état, Bérénice est un long spasme, une déchirure, la convulsion d'une dernière étreinte. Tandis que Titus rejette celle qu'il a tant aimée parce que son peuple ne comprendrait pas qu'il épouse une étrangère, Antiochus, son plus fidèle ami, étouffe les brandons de la passion que tisonne en son sein la fiancée répudiée. Doublement aimée puis reniée par son seul amant, Bérénice frôlera la démence -chagrin insondable- puis, apostasie amoureuse, s'enfuira loin du monde.
Assis autour d'une table de lecture, quatre comédiens incarnent soudain les personnages de Racine. Ce quatuor aussi déchirant que "La jeune fille et la mort" de Schubert joue la partition avec fièvre. Isabelle Lafon a choisi de monter la pièce à cru : ni décor, ni accessoires, costumes neutres et âmes à nu. Le texte rien que le texte : murmurés, balbutiés, clamés, implorés ou hurlés, les vers de Racine disent l'amour fou, l'amour à mort, celui qui calcine les corps et les cœurs.
La sobre Judith Périllat, tour à tour le raisonnable Paulin et la frémissante Phénice, la solaire Karyll Elgrichi en Titus dégouttant de lâcheté virile mais dont le luth constellé porte (déjà) "le Soleil noir de la Mélancolie" et l'émouvant Pierre-Félix Gravière en Antiochus sevré de toute illusion amoureuse servent à merveille la Bérénice borderline personnifiée par Johanna Korthals-Altes. Qu'elle cherche à séduire ou à décourager, qu'elle se torde de douleur ou crache son affliction, la comédienne porte le rôle titre avec exaltation. Sa fébrilité palpable irradie.
A la fin de la pièce, les comédiens retournent à leur table de travail : tout n'était donc que le rêve d'un moment, une image évanescente... Violence et passion.
Magistral !