
"Zigouiller, buter, estourbir,
Trucider, saigner, refroidir,
Descendre, occire, ratatiner
Comme l'auraient fait les chères aînées."
Fasciné par la dérive meurtrière de Gesche Gottfried, empoisonneuse en série, Fassbinder dénonce, dans sa pièce, l'asservissement des femmes et érige "l'ange de Brême" en sainte patronne des opprimées (par le père, l'époux, la religion, les enfants, la société, l'époque...). Succession d'images peintes projetées par une funeste lanterne magique, le Stationendrama du cinéaste accouple Grand Guignol et pièce à thèse. Le résultat est peu subtil qui enfonce des clous, là où de simples épinglettes auraient fait l'affaire.
Cédric Gourmelon étire cette procession de vignettes jusqu'au point de rupture : jeu hiératique, silences pesants, chorégraphies avortées. Tout est appuyé d'un trait charbonneux et surligne les audaces surannées de Fassbinder. Du grotesque, de la farce (qui affleurent à de trop rares moments dans le spectacle) auraient judicieusement fait exploser la diatribe féministe du texte -ah, jouir sans entrave !-.
Trouvaille inspirée, à chaque immolation, Gesche offre une prière chantée à Dieu, oblation sacrilège qu'elle entonne tournée vers l'immense toile qui tapisse la scène. A la craie blanche sur un fond noir, Mathieu Lorry-Dupuis, scénographe génial, y fait se dialoguer Lucas Cranach (nymphette cambrée, Christ supplicié ou Salomé perverse), Le Caravage et Basquiat -entre autres- dans un magma de références à l'époque, à l'auteur ou aux thèmes de la pièce. C'est juste superbe.
Les comédiens, très impliqués, croquent, avec talent, des "types" (le mari violent, l'amant égoïste, les parents bigots) comme griffés à la plume : seule Valérie Dréville, endossant avec crânerie le rôle de la multirécidiviste de l'assassinat caféiné (conjugicide, libericide, matricide, parricide, fratricide... quelle cumularde !), nous offre un personnage véritablement incarné. Son chemin de croix in fine parvient à nous émouvoir.
Gouttes de sang sur pierres tièdes...