
"Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes."
De la page encore blanche qu'il "habite, (...) investit, (...) parcourt" au monde "comme retrouvaille d'un sens, perception d'une écriture terrestre, d'une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs", Perec inventorie l'infini des espaces en un merveilleux catalogue poétique.
Georges nous entraîne dans ses Perec/rinations et à chaque paragraphe, le lecteur s'évade dans ses propres souvenirs d'espaces. Il laisse alors sourdre en lui une kyrielle de monuments mémoriels : ruelles de l'enfance, lits et chambres d'amour, villes rêvées, jardins clos... Le bonheur se dissimule dans ces flâneries légères.
Comment transmettre le plaisir intense que j'ai éprouvé à découvrir cet ouvrage de fragile dentelle ? Perec attise notre envie de penser (panser) nos espaces, avec ou sans fonction, de réinvestir notre cartographie intime et sitôt, nous devenons co-auteur de notre "read in progress".
On pense au jeu du suichuka, si cher à Proust, "où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables (...)" (Du côté de chez Swann, 1913).
De même -en paraphrasant le "petit cher Marcel"- alors toutes les chambres de ma vie et celle de la rue de Brest, celle de la Piazza Vidoni, celle de la rue Cadoudal et celle de la Chandeleur, ou la chambrée du quartier Beaumanoir, et les amis et leurs logis -à Levallois ou Portivy, à Mougins ou Fréconrupt-, et la rue du Professeur Roux, l'allée des cèdres ou des jonquilles, et tout E***, G*** ou V*** et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, lits, chambres, rues et villes de quelques heures d'une lecture magique.
Opuscule hautement thaumaturge.
"Vivre, c'est passer d'un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner."