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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Viril - David Bobée

Publié par Thierry L. sur 20 Mars 2019, 07:47am

Catégories : #Applaudi

Lecture de textes de : Casey, Virginie Despentes, Leslie Feinberg, June Jordan, Audrey Lorde, Zoé léonard, Paul Preciado, Valérie Solanas, Monique Wittig et Itziar Ziga.

Devant une grille de spots agressifs (hygiaphone géant pour protéger de l'implacable subversion du spectacle ?), portées par la musique du groupe Zëro, trois frangines fulminent. Scandés ou murmurés, elles s'accaparent de textes dissidents, cris de révolte de femmes en marge d'une sexualité hétérocentrée.

David Bobée s'est entouré de trois voix impérieuses. Il y a au départ celle de Béatrice Dalle, farouche et investie dans un lamento vibrant. S'y agrègent la mélopée d'une douce brutalité de Virginie Despentes et pour finir le flow gorgé d'émotion de la jeune rappeuse Casey. Ce "triummulierat" impudent rend hommage à ces femmes "couverte(s) du noir crachat des ténèbres", chantent pour "les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché de la bonne meuf" pour les fems, les butch, les trans... à travers des fragments littéraires d'une audace et d'une violence considérables.

Une secousse tellurique pour notre bonne conscience et un nœud pour nos gorges émotives. Du bon usage de la colère...

Le magnifique texte de Preciado, lu avec ferveur par Casey
 
Tribune de Libération
Homosexualité, transsexualité: nous sommes partout
Par Paul B. Preciado, philosophe, directrice du Programme d'études indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba)

"L’homosexualité est un sniper silencieux qui colle une balle dans le cœur des enfants des cours de récréation, il vise sans chercher à savoir s’ils sont gosses de bobos, d’agnostiques ou de catholiques intégristes. Sa main ne tremble pas, ni dans les collèges du VIe arrondissement, ni dans les zones d’éducation prioritaires. Il tire avec la même précision dans les rues de Chicago, les villages d’Italie ou les banlieues de Johannesburg. L’homosexualité est un sniper aveugle comme l’amour, éclatant comme un rire et aussi tendre qu’un chien. Et s’il se lasse de prendre des enfants pour cible, il tire une rafale de balles perdues qui vont se loger dans le cœur d’une agricultrice, d’un chauffeur de taxi, d’un chanteur hip-hop, d’une factrice pendant sa tournée… la dernière balle a atteint une femme de 80 ans pendant son sommeil.

La transsexualité est un sniper silencieux qui colle une balle dans la poitrine d’enfants plantés devant un miroir ou qui comptent leurs pas sur le chemin de l’école. Il ne se préoccupe pas de savoir s’ils sont nés d’une insémination artificielle ou d’un coït catholique. Il ne se demande pas s’ils viennent de familles monoparentales ou si papa portait du bleu et maman s’habillait de rose. Il ne tremble ni du froid de Sotchi ni de la chaleur de Carthagène. Il ouvre le feu aussi bien sur Israël que sur la Palestine. La transsexualité est un sniper aveugle comme le rire, éclatant comme l’amour, aussi tendre et tolérant que le sont les chiennes. De temps en temps, il tire, sur une professeure en province ou sur un père de famille, et boum.

Pour ceux qui ont le courage de regarder la blessure en face, la balle devient la clé d’un monde dont ils n’avaient jamais rien vu auparavant. Les rideaux s’ouvrent, la matrice se décompose. Mais parmi ceux qui portent la balle dans la poitrine, quelques-uns décident de vivre comme s’ils ne sentaient rien.

D’autres compensent le poids de la balle en faisant de grands gestes de Don Juan ou de princesse. Des médecins et des Églises promettent d’extirper la balle. On dit qu’en Équateur une nouvelle clinique évangéliste ouvre chaque jour, pour ré éduquer les homosexuels et les transsexuels. Les foudres de la foi deviennent des décharges électriques. Mais nul n’a jamais su comment extirper la balle. Ni les mormons ni les castristes. On peut l’enfouir plus profondément dans sa poitrine, mais on ne peut jamais l’extirper. Ta balle est un ange gardien : elle sera toujours à tes côtés.

J’avais 3 ans quand pour la première fois j’ai senti le poids de la balle. J’ai su que je la portais en entendant mon père traiter de sales gouines dégueulasses deux filles étrangères qui marchaient en se donnant la main dans la rue. Ma poitrine s’est mise à brûler. Cette nuit-là, sans savoir pourquoi, j’ai imaginé pour la première fois que je m’échappais de ma ville et que je partais dans un autre pays. Les jours qui suivirent furent des jours de peur, et de honte.

Il n’est pas difficile d’imaginer que parmi les adultes qui participent aux manifestations de la colère certains portent, enkystés dans leur plexus, une balle ardente. Par simple déduction statistique, et connaissant la virtuosité des snipers, je sais que certains de leurs enfants portent déjà la balle au cœur. J’ignore combien ils sont, quel est leur âge, mais je sais que certains d’entre eux ont la poitrine qui brûle.

Ils portent des banderoles qu’on a mises entre les mains, qui disent «ne touchez pas à nos stéréotypes». Mais ils savent qu’ils ne pourront jamais être à la hauteur de ces stéréotypes. Leurs parents hurlent que les groupes LGBT ne doivent jamais entrer dans les collèges, mais ces enfants savent que ce sont eux, les porteurs de la balle LGBT. La nuit, comme quand j’étais enfant, ils vont au lit avec la honte d’être les seuls à savoir qu’ils sont la déconvenue de leurs parents, ils vont se coucher avec la peur de ce que leurs parents les abandonnent s’ils apprennent, ou préfèrent encore qu’ils meurent. Et ils rêvent peut-être, comme moi avant eux, qu’ils s’enfuient dans un pays étranger, dans lequel les enfants qui portent la balle sont les bienvenus. Et je voudrais dire à ces enfants : la vie est merveilleuse, nous vous attendons, ici, nous sommes nombreux, nous sommes tous tombés sous la rafale, nous sommes les amants aux poitrines ouvertes. Vous n’êtes pas seuls."

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