Avec L'Aiguille creuse, Maurice Leblanc s'affranchit de ses sympathiques œuvrettes pleines d'aventures cocasses et invraisemblables pour toucher du doigt le mythe littéraire. Son héros prend soudain de l'ampleur : l'Arsène bravache et combinard se transforme en démiurge magnétique, sorte de Capitaine Nemo cauchois, en amant passionné et en thaumaturge insaisissable !
Dans cet épisode de légende, Lupin lutte tout à la fois contre le bon sens du mignard Isidore Beautrelet, brillant garçonnet dans lequel il semble discerner un fils spirituel, l'acharnement brutal de l'inspecteur Ganimard, la rivalité haineuse d'Herlock Sholmès et l'Histoire avec sa grande hache. Le mystère de L'Aiguille creuse invoque les mânes de Voltaire, de Guillaume le Conquérant, de Marie-Antoinette et du Masque de Fer pour le plus grand plaisir du lecteur, enfermé pour quelques heures dans un "escape game" de papier qui mêle chausse-trapes ingénieux et formules magiques, disparitions énigmatiques et déguisements bluffants.
Précurseur d'Umberto Eco, Leblanc livre ici une aventure pleine d'audace qui entrelace subtilement l'histoire et la fiction, le vrai et le mensonge : le message codé, au centre de son récit, est le parangon des machines à rêves. Son héros trouve ici une réelle épaisseur : toujours habile bonimenteur, il aime, rit, pleure et sous le masque de l'invincibilité effleure son humanité, pétrie de contradictions.
Une belle réussite qu'un style moins relâché aurait aisément transcendée.