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La vie errante

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Mes goûts et mes couleurs


L'Agent secret - Joseph Conrad

Publié par Thierry L. sur 13 Juillet 2018, 05:46am

Catégories : #Lu

Le terrorisme dont le mécanisme fondamental consiste en une atrophie progressive du système sociétal est un cancer. Créé de toutes pièces par le corps social, il prospère d'autant plus que celui-ci nourrit son ressentiment. Opportuniste, le terroriste s'appuiera volontiers sur les déficiences ou les fragilités de ses sectateurs pour organiser son chaos : c'est Daech et sa légion de débiles obéissants ; c'est l'abject Boko Haram et ses gamines transformées en bombes humaines...

Paru en 1907, L'Agent secret semble avoir été écrit pour notre époque. L'histoire du triste agent double (et agent provocateur) Verloc, terroriste anarchiste presque malgré lui, condense très finement la façon dont nos sociétés accouchent de ces factieux qu'ensuite elles nourrissent et font fructifier pour des résultats qui les dépassent souvent mais, au final, leur permettent d'asseoir un pouvoir accru. Exhortant à l'action un ramassis d'anars (parmi lesquels un scribouillard obèse et un gommeux trousseur de bonniches), Verloc renseigne à la fois la police anglaise et une "puissance ennemie", la Russie tsariste.

Sans état d'âme, le gros Verloc vivote dans un Londres grisâtre : il camoufle ses activités de taupe derrière la vitrine d'une officine peu recommandable puisqu'on y vend, sous le manteau, photos cochonnes et condoms. Madame Verloc, Winnie, -affublée de sa mère semi-impotente et de son frère gentiment crétin, l'écumant Stevie- l'a épousé sans amour mais pas sans arrière-pensée pécuniaire : comme elle cuisine, tient la boutique et ne renâcle pas sous l'homme, Verloc est comblé ! C'est alors que Vladimir, un diplomate patelin autant que Russe, lui ordonne de passer à la vitesse supérieure et de faire sauter l'observatoire royal de Greenwich au nom des anarchistes slaves que l'Angleterre, terre d'asile, accueille. Le Professeur, rogaton nihiliste, fabriquera la bombe.

La machine infernale n'atteindra certes pas son objectif mais sa déflagration soufflera intégralement ce petit nid de cloportes.

Le plus frappant dans L'Agent secret c'est le changement de style de Conrad qui manie l'ironie tout au long du roman en n'épargnant aucun de ses personnages. Mordant, sardonique, Conrad s'essaie à l'humour (noir) et y excelle. Croquant avec génie ses héros, il malmène la chronologie du récit, étire ses scènes, joue de l'ellipse et, loin de toute mer, noie son récit dans la grise brumaille londonienne, imprégnant son texte de contrastes expressionnistes saisissants (on évoquera plus l'Hitchcock de "The lodger" que celui de "Sabotage", adaptation du roman).

Très incarnés, les personnages de L'Agent secret sont campés avec maestria par un Conrad goguenard : Winnie, bête de somme consentante, épouse mutique et sœur exaltée, mi maman, mi putain, avec de faux airs de Zasu Pitts dans "Les rapaces" ; Stevie, doux et innocent devancier de Benjy Compson ; Heat, flic massif et retors et son chapeau melon dont l'ombre portée imprime durablement la rétine ; Ossipon, misérable coureur de jupons, veule pou de femmes ; le Professeur, petite boule de haine intégrale, homuncule eugéniste et bien sûr Verloc, gras condensé de bêtise dont la conscience est un trou noir.

Un Conrad encore et toujours surprenant. Quel bonhomme !

L'Agent secret - Joseph Conrad
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