
La postérité du tueur en série Gilles de Rais a fait florès : de Huysmans à Bataille, d'Enzo Cormann (et son charbonneux "La chair et le couteau", dont le souvenir ne m'a jamais quitté) à Pasolini (qui envisageait de lui consacrer un film), nombreux sont ceux qui ont désiré découvrir l'homme sous sa noire légende.
Michel Tournier, dans son très court mais puissant "Gilles & Jeanne", le définit comme le verso, le négatif de la très chaste et pure Pucelle d'Orléans. Le martyre de la future Sainte dépossède le Maréchal de France de sa quête du Bien pour le lancer dans les traverses, pleines d'ornières, du Mal. Influencé par la malignité d'un aventurier italien, Francesco Prelati, Gilles immolera de nombreux enfants sur l'autel de sa folie avant de rejoindre dans la mort celle qu'il n'a cessé de vénérer. Mystère des collisions de l'Histoire !
Tournier ressasse ses propres obsessions dans ce texte à l'épure toute classique : le double (cf. Les Météores ou Le miroir des idées), l'enfant comme objet de désir (cf. Le Roi des Aulnes) ou encore la transmutation (cf. Vendredi ou les Limbes du Pacifique). Il aboute un Moyen-Âge de plomb à une Renaissance en or, une Sainte de feu à un assassin palustre, une légende dorée à un mythe sanglant. Ce récit, squelette de roman, est, d'un bout à l'autre, passionnant.