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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


La Folie Almayer - Joseph Conrad

Publié par Thierry L. sur 5 Septembre 2017, 17:27pm

Catégories : #Lu

"(...) Filaos au chantant ramage -
Que je meure et, demain,
Vous ne serez plus, si ma main
N'a fixé votre image.
" (P.J. Toulet, Contrerimes)

Dans cette première incursion en Conradie, tout invite au voyage. D'abord les toponymes enchanteurs que l'on se récite comme un mantra entre Bornéo et Célèbes : Macassar, Mindanao, Madoura, Surabaya... Puis la poésie sauvage de certains noms dont la magie recouvre une réalité bien prosaïque : gutta-percha, résine-dammar, sarong, bricks et schooners. Enfin les évocations éblouies de paysages ultra-marins dans lesquelles arbres et rivières composent des tableaux luxuriants et sensuels.

Mais sous cette splendeur nomade, il n'est pas "jusqu'à l'air qui ne sembl(e) mort en ce lieu - lourd et stagnant, empoisonné par la corruption d'innombrables siècles". Car ce qui se joue ici c'est l'avilissement d'une dignité, la déliquescence d'une âme...

«(...) qui a deux maisons perd sa raison."

Kaspar Almayer avait de nobles ambitions mais les événements et les mauvaises rencontres se sont chargés de les gangréner. Sur les rives de la Pantaï, il a échoué dans un minuscule village, Sambir, sous domination anglaise puis hollandaise. Il y a construit une maison puis une seconde somptueuse mais jamais habitée, la folie du titre.

Ses affaires sont catastrophiques, il est mal marié à une harpie malaise et ses ennemis sont décidément trop nombreux (l'Arabe fourbe Syed Abdulla, le rajah apathique Lakamba et, toujours aux avant-postes, son ministre borgne et au visage grêlé, Babalatchi). Tous ses espoirs d'une vie meilleure reposent dorénavant sur l'amour qu'il porte à Nina, sa fille unique et sur un hypothétique trésor englouti dans la jungle qui lui permettrait de regagner son Europe natale.

En s'alliant avec Dain Maroola, le raffiné baroudeur qui va embraser le cœur de l'indomptable Nina, Almayer dilapide ses dernières illusions.

Malgré des dialogues par trop fabriqués et quelques figurants fantoches, ce récit de la débâcle d'un proscrit passionne : on y sent la même fièvre que dans les dessins d'Hugo Pratt. Conrad brosse avec virtuosité les mystérieux paysages fluviaux de Bornéo : sous ses pinceaux, les ombres vibrent, les frondaisons se nuancent de mille teintes et le soleil, comme la nuit, transmuent formes et distances. Tous les sens en alerte (hormis l'olfaction dont Conrad n'use que parcimonieusement), le lecteur est proprement désorienté. Il s'enfonce avec délice dans l'enfer vert mordoré de la plus grande île de la Sonde et accompagne le malheureux Almayer dans son anéantissement.

Larguons les amarres! Le Capitaine Conrad est un valeureux briscard.

 

La Folie Almayer, René Magritte, 1951

La Folie Almayer, René Magritte, 1951

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