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La vie errante

La vie errante

Mes goûts et mes couleurs


Absalon, Absalon ! - William Faulkner

Publié par Thierry L. sur 16 Mai 2017, 16:23pm

Catégories : #Lu

Distant voices, Still lives...

Absalon, Absalon ! invoque les esprits du vieux Sud, celui qui a irrémédiablement disparu dans les feux de la guerre de Sécession.

Pas de planche de Ouija pourtant mais un entrelacs grisâtre de litanies décolorées, démente histoire à quatre voix : celle de la vieille Rosa Coldfield, vierge fossilisée, symbole vivant du Sud d'avant, celles de Jason Compson et de son fils Quentin, enfants du pays et celle, détonante de Shreve (Shrevlin McCannon), observateur neutre, car du grand Nord. Ces chuchotis raniment de vieux fantômes poussiéreux dont l'horrifique spectre décharné de Thomas Sutpen.

Venu de nulle part, Sutpen voulait ériger une maison mais les fondations en étaient pourries. Dans sa quête désespérée d'une descendance au sang pur, il échouera : il n'engendrera que des filles (même son fils Henry est une fille) ou des sangs-mêlés. Meurtre, inceste, outrage, homosexualité : il y a des taches originelles qui ne s'effacent jamais. "Out, damned spot ! Out, I say !" pourrait-il hurler comme Lady Macbeth.

Faulkner nous donne à voir l'envers d'une tapisserie : les motifs sont à deviner sous les fils mêlés, croisés, dégradés, chinés. Le lecteur est seul chargé de la tombée de métier. A lui, la reconstitution de la terrifique histoire de la lignée Sutpen.

Dans cette fresque brutale, baroque et gothique à la fois, l'écrivain multiplie les points de vue, enchevêtre les mots d'hier à ceux d'aujourd'hui, joue avec le flou des pronoms personnels, malaxe la chronologie et nous livre l'un des plus fulgurants romans du siècle dernier. Absalon, Absalon ! est un entonnoir : les phrases ondoyantes de l'écrivain se déversent en cataractes bruyantes, la force centrifuge de ses longs paragraphes noient le lecteur, qui cherche en vain à reprendre haleine.

Le jeune Quentin Compson, l'un des narrateurs de l'épopée, s'est suicidé dans " The Sound and the Fury " : pour l'amateur de Faulkner il s'agit donc d'un revenant familier. L'amour quasi incestueux qu'il porte à sa sœur Caddy dans le roman de 1929 et le désir sans cesse réprimé qu'il éprouve pour Shreve, son camarade de chambrée à Harvard, font écho aux esprits frappeurs invoqués dans Absalon.

"Life […] : it is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury
Signifying nothing."

Le dernier mot, ici encore, sera laissé à un pauvre imbécile, Jim Bond, fruit corrompu de ce grand Sud définitivement irréconciliable.

Le parfum sucré et suffocant des glycines imprègne cet âpre chef-d'œuvre que ne peut épuiser une lecture. J'y retournerai. Encore.

 

Absalon, Absalon ! - William Faulkner
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